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a cru que Montaigne s’efforçait de rajeunir son ami pour constater que la Servitude était une œuvre d’extrême jeunesse, et atténuer ainsi l’interprétation exagérée que pouvait souffrir cet ouvrage, publié, comme il le fut, au milieu de diatribes révolutionnaires[1]. La chose est plausible. Il est juste aussi de faire remarquer que la composition du Contr’un se place, — à quelque date qu’on l’attribue, — dans une période que Montaigne ne vécut point aux côtés de son ami. De là, sans nul doute, le manque de précision dans l’affirmation de Montaigne et les deux âges qu’il assigne successivement à cette composition. D’ailleurs, d’autres considérations semblent encore venir ébranler le témoignage de Montaigne et confirmer l’hypothèse de la rédaction à Orléans. Il paraît particulièrement difficile qu’un tout jeune homme puisse ainsi façonner à son usage une langue sobre, expressive, bien personnelle, surtout si l’on admet, comme il le faudrait supposer, qu’il n’écrivait pas dans un centre intellectuel de premier ordre. À moins d’un génie exceptionnellement doué, de qualités absolument transcendantes, — et ce n’est pas le cas de La Boétie, esprit fort remarquable assurément, mais que des dons si extraordinaires ne semblent avoir jamais distingué, — la chose serait sans exemple dans les annales littéraires. Au contraire, écrit à Orléans, c’est-à-dire au moment où la Pléiade commence à poindre, où les tentatives de rénovation littéraire s’agitent déjà un peu confusément, composé dans ce milieu voué par excellence aux libres controverses et aux entretiens érudits, le Contr’un germe à son heure, dans un sol bien préparé à son éclosion. Ainsi mis en sa place, c’est un anneau dans la grande chaîne des accroissements humains. L’ouvrage de La Boétie prend rang à sa date dans le développement de la langue et de l’esprit français. Les progrès intellectuels sont solidaires les uns des autres, et ils se tiennent entre eux par des liens étroits, qu’il n’est pas permis de rompre.

Replacer, de la sorte, le Contr’un. dans le milieu qui l’inspira probablement, pourrait contribuer, en outre, à expliquer l’application qui en fut postérieurement faite. Prédisposée entre toutes les villes de France à bien accueillir la réforme religieuse, Orléans en devint rapidement un des plus ardents foyers. Quelques-uns de ceux qui avaient été les compagnons de La Boétie sur les bancs de l’école en furent plus tard les principaux adeptes, et, dans ce nombre, il faut compter Lambert Daneau, dont nous aurons à nous occuper encore. Uni dans sa jeunesse avec La Boétie,

  1. De la Renaissance des lettres à Bordeaux, p. 40.