Page:La Boétie - Œuvres complètes Bonnefon 1892.djvu/46

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dont il partageait les goûts studieux et les travaux intelligents, Daneau fut entraîné au calvinisme par la constance et par l’exemple de son maître, Anne Du Bourg, dont il semble avoir été l’élève favori. L’un et l’autre, Daneau et La Boétie, se communiquaient alors leurs projets comme ils échangeaient leurs pensées, et Daneau fut sans nul doute le confident des premiers essais de La Boétie. C’est lui assurément qui eut la primeur du Contr’un, si elle n’avait pas été réservée au maître qui les guidait tous les deux. Leurs âmes, animées d’un même élan, devaient se comprendre à merveille, et c’est dans l’intimité de ces relations qu’il faut chercher le vrai motif pour lequel le Coutr’un était si répandu parmi les fervents huguenots. Peut-être avait-on cru un moment pouvoir convertir à la cause commune l’esprit si droit de La Boétie, et quand il fut bien avéré que ces nouveautés ne l’avaient point tenté, quand il ne fut plus de ce monde pour se défendre des fausses interprétations, on publia l’œuvre dans laquelle il s’était mis tout entier, avec l’ardeur et les utopies de sa jeunesse. On voulut en faire une application, d’abord timide, aux choses du présent, que La Boétie avait pourtant évité avec soin de toucher. On n’était pas fâché d’entendre un catholique, dont la foi n’avait jamais été suspectée, traiter, avec une aussi grande liberté d’allures, les questions qui préoccupaient le plus les huguenots. On faisait bien remarquer, qu’au prix du catholique, ceux-ci étaient « trop doux et trop serviles ». On espérait enfin que ce franc parler convaincrait bien des gens indécis, et que les autres Français, « qu’on traite pire que des bestes », s’éveilleraient à cette mâle parole « pour recognoistre leurs misères et aviser très tous ensemble de remédier à leurs malheurs[1]. » L’éditeur omettait seulement de dire que cette

  1. Comme on le verra ci-dessous, ce sont les propres paroles qui précédaient et qui annonçaient l‘extrait de la Servitude volontaire inséré, sans nom d’auteur, dans le Réveille-Matin des François.