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France, le goût de ce petit poème était alors prédominant. Il n’est donc pas étonnant que La Boétie l’ait cultivé, ainsi que la plus grande partie de ses contemporains. D’ailleurs, la forme étroite du sonnet, sa sévérité d’allure devaient plaire à un esprit aussi net que le sien. Montaigne trouve ceux-ci « autant charnus, pleins et moëlleux qu’il s’en soit encore vu dans notre langue ». Si la mollesse y fait un peu défaut, ces petites productions sont en effet singulièrement « pleines et charnues ». Destinées à chanter l’amour de La Boétie pour celle qui allait devenir sa femme, elles retracent les émotions successives, les mille petits drames de la passion.

Il en est de même des vingt-neuf autres sonnets que Montaigne inséra plus tard dans les Essais, aux lieu et place de la Servitude volontaire. Ceux-ci sont ceux que le sieur de Poyferré[1], « homme d’affaires et d’entendement », qui connaissait La Boétie bien avant Montaigne, retrouva « par fortune chez luy, parmy d’autres papiers », ce qui explique leur apparition tardive. En les publiant, Montaigne les dédiait à la belle Corisandre d’Andouins[2], et les faisait précéder de piquants renseignements. Ils avaient été produits « en la même saison » que le Contr’un et La Boétie les avait faits « en sa plus verte jeunesse, eschauffé d’une belle et noble ardeur », que Montaigne promettait de dire un jour à l’oreille de Corisandre. Pour ce motif, Montaigne les affectionnait particulièrement : il les trouve « gaillards, enjoués…, vifs, bouillants », et n’hésite pas à les préférer à ceux qu’il avait précédemment publiés. Composés par La Boétie en l’honneur de sa femme, ces derniers sentent déjà, au dire de Montaigne, « je ne scay quelle froideur maritale ». C’en

    l’Antiquité de Bourdeaus du même Élie Vinet (Bordeaux, S. Millanges, 1574, in-4o, § 110). Les vers cités de La Boétie étaient-ils français ou latins ? Par contre, nous lisons dans un volume de Florimond de Raymond (L’Ante-Christ, Paris, 1607, in-8o, pp. 300) : « Estienne de La Boétie, jadis l’ornement de notre Sénat, avoit dit mieux que tout autre, car on dit que ces vers sont à luy :

    « Le premier coing duquel I’or fut battu
    En battant l’or abattit la vertu ».

    Ces deux vers ne se trouvent point dans les poésies publiées ; s’ils appartiennent véritablement à La Boétie, ils font sans doute partie d’une des pièces dont parle Montaigne, et qui ont été perdues. Il est égalementà remarquer que les vers cités par La Boétie lui-même dans le Contr’un, comme étant siens, ne se retrouvent pas dans ses œuvres imprimées. Cf. ci·dessous, p. 18.

  1. Je n’ai pu identifier absolument ce sieur de Poiferré ou Poyferré. Grâce à l’obligeante indication de M. Leo Drouyn, j’ai consulté, à la bibliothèque de Bordeaux, des lettres royaux du 3 juin 1587, provenant des archives du château de La Tresne, en faveur de M. Jean de Poyferré, avocat au Parlement de Bordeaux, et Nicolas de Poyferré, (procureur en la dite cour, cautions de Menault de Chegaray, fermier de la bourse commune des marchands de Bordeaux, qui avait vendu une maison à
  2. Diane d’Andouins, dite la belle Corisande ou Corisandre, vicomtesse de Louvigny et dame de Lescun, fille unique de Paul d’Andouins, vicomte de Louvigny, et de Marguerite de Cauna, avait épousé, en 1567, Philibert de Gramont, comte de Guiche, gouverneur de Bayonne et sénéchal de Béarn, qui fut tué en 1580 au siège de La Fère. La passion du roi de Navarre pour la comtesse de Gramont succéda à ses amours avec Mademoiselle de Montmorency-Fosseux, vers 1581, et dura plus de dix ans.