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de personnalité, brillent tout à coup, comme un éclair dans un ciel gris, quelques vers d’une facture habile, d’un accent plus vrai. Là se montre et se reconnaît l’homme de talent : adonné à la poésie par manière de passe-temps, La Boétie n’a pas le coup d’aile puissant du véritable poète, ce coup d’aile qui l’emporte dans la nue ; mais il a souvent quelque élan spontané qui l’élève assez haut au-dessus des versificateurs d’occasion, et toujours ses sonnets sont d’une aimable décence d’expressions et d’images, qui les fait lire avec plaisir.

Une certaine indécision dans la forme, tel est le défaut le plus général et le plus apparent des vers français de La Boétie ; mais tel n’est pas le reproche qu’on peut adresser à ses poésies latines. Dans celles-ci, au contraire, le mot est toujours propre et le langage sobre : on sent que l’auteur préférait manier le vers latin qu’écrire sa langue maternelle. C’est chose fréquente au XVIe siècle. Aussi emploie-t-il plus volontiers le latin, que son éducation lui avait rendu familier, et sait-il se mettre plus complètement dans ce nouveau tour de sa pensée. L’idée y garde un air d’aisance et de facilité, qu’elle ne conserve pas dans les vers français ; elle est plus nette et atteint uni degré de précision presque digne d’Horace. Il n’est donc pas surprenant que La Boétie ait été regardé comme l’un des plus remarquables poètes latins d’une époque qui en comptait cependant nombre de fort habiles[1]. L’agrément et la variété de sa verve latine méritent certainement une semblable distinction. Ces petites pièces ont d’autre attrait pour nous que le charme de leur facilité : elles nous montrent assez profondément l’âme même de leur auteur. Les sonnets français de La Boétie ne sont inspirés que par l’amour et le célèbrent sous ses aspects divers. Les vers latins, au contraire, doivent leur naissance à des causes plus nombreuses ; les événements, les sentiments qui les produisirent sont plus différents et varièrent l’émotion[2]. Tantôt La Boétie prend la plume pour accompagner de quelques lignes l’envoi de livres à des amis, ou pour déplorer la mort du duc de Guise ou celle de J.-C. Scaliger ; tantôt ses vers fustigent les poètes flatteurs et les mauvais médecins. Le plus souvent il s’adresse à son ami Montaigne pour l’encourager au bien, et ces hexamètres, en plus de leurs mérites intrinsèques, ont pour nous l’avantage particulier de nous ouvrir les pensées intimes du jeune poète, de nous faire pénétrer plus avant dans le secret d’une amitié étroite que le temps a immortalisée.

  1. S. de Ste-Marthe, Gallorum dactrinâ illustrium elogia, liv. II, p. 128.
  2. En les analysant, M. Feugère a indiqué ce qu’on y peut trouver de renseignements (Caractères et portraits littéraires du XVIe s., t. I, p. 107-125).