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IV


La Boétie et Montaigne : l’un et l’autre avaient une haute idée de l’amitié. Les premiers amis de La Boétie. Lambert Daneau. Jean-Antoine de Baïf. Jean Dorat et la Pléiade. La Boétie et Ronsard. Jean de Belot. Guy de Galard de Brassac. Relations avec Jules-César Scaliger. Liaison avec Montaigne. Son caractère. Rôle de La Boétie. Sa mort frappe Montaigne profondément. La Boétie lui légue ses livres.


L’amitié, suivant La Boétie, est un sentiment délicat dont sont capables seules les natures d’élite ; les âmes corrompues et méchantes ne peuvent s’y hausser. « L’amitié, dit-il, c’est un nom sacré, c’est une chose sainte ; elle ne se met jamais qu’entre gens de bien et ne se prend que par une mutuelle estime ; elle s’entretient non tant par bienfaits que par la bonne vie. Ce qui rend un ami asseuré de l’autre, c’est la connoissance qu’il a de son intégrité : les respondens qu’il en a, c’est son bon naturel, la foi et la constance. Il n’i peut avoir d’amitié là où est la cruauté, là où est la déloiauté, là où est l’injustice ; et entre les meschans, quand ils s’assemblent, c’est un complot, non pas une compaignie ; ils de s’entr’aiment pas, mais ils s’entre-craignent ; ils ne sont pas amis, mais ils sont complices[1]. » Peut-on s’étonner, après un pareil langage, que le jeune homme, qui parlait ainsi des affections du cœur, demeurât toujours si sûr et si dévoué dans ses liaisons d’amitié ? Qu’on rapproche ces quelques lignes des admirables pages de Montaigne sur ce même sentiment, et l’on aura bien vite le secret motif d’un lien si fort et si étroit que les siècles n’ont pu le rompre.

Mais ce qui n’a pas été assez dit et ce que l’on ignore communément, c’est que Montaigne ne fut pas le premier séduit par l’amitié de La Boétie. La chose est cependant importante et vaut la peine d’être notée, car le respect et l’admiration de Montaigne étaient si grands à l’égard de son ami qu’il les pousse jusqu’à l’apparence de l’illusion. Il parle de La Boétie avec une affection si enthousiaste, ce sceptique, railleur par nature, qu’on le soupçonne de s’être abusé et que nous accusons volontiers son esprit d’avoir

  1. On rencontre encore dans ses sonnets ce beau vers inspiré par le même sentiment :
    Aussi qu’est-il plus beau gu’une amitié fidèle ?