— Laissez celui-là, dit-il, allez aux autres et combattez fort ! le moment en est venu. (Ibid.).
Et en effet les Anglais, après quelques instants de consternation et d’affolement, reprennent leur sang-froid et se groupent autour d’un nouveau chef, l’aventurier Crokart.
Ce Crokart, Allemand de nation, était le type du soldat de fortune, « un vaillant voleur » dit d’Argentré. D’abord page ou laquais d’un mein herr de Hollande ; son maître mort, il vint chercher fortune à la guerre de Bretagne et entra dans la bande ou compagnie d’un seigneur anglais qui ne tarda pas à être tué ; les compagnons qui formaient cette bande, charmés de l’audace et de l’impudence de Crokart, le prirent pour chef. Alors il fit de beaux exploits de brigand-routier, surprenant, pillant maisons, bourgs, châteaux, qu’il revendait à gros prix aux propriétaires, si bien qu’il fut bientôt riche de 60,000 écus sans compter une écurie de « vingt ou trente bons coursiers et doubles roncins[1] ». Le roi de France voulut l’acheter, promettant de le faire chevalier, de le marier richement, de lui donner « 2,000 livres par an » (100,000 fr, valeur actuelle). Il refusa, préférant pour le plaisir et le profit garder son métier de « vaillant voleur[2] ».
Bembro, enflé d’arrogance, esprit rêveur et extravagant, avait mis toute sa confiance dans les prophéties de Merlin. Crokart était un autre homme ; en s’adressant à sa troupe, il ne se gêne pas pour se moquer du défunt :
— Seigneurs, dit-il, vous voyez comme Bembro, qui nous a amenés ici, nous manque juste au moment du danger. Tous ses livres de Merlin « que il a tant amés, » il n’en a pas tiré deux deniers. Voyez-le, il gît goule bée, « étendu tout à plat sur ce pré. » (ms. Didot). Quant à vous, bons Anglais, je vous en prie, agissez en hommes de cœur. Tenez vous estroitement serrés l’un contre l’autre,