C’est le problème du Mal qui me fournit mon quatrième et dernier argument contre le Dieu-Gouverneur, en même temps que mon premier argument contre le Dieu-Justicier.
Je ne dis pas : l’existence du mal, mal physique, mal moral, est incompatible avec l’existence de Dieu ; mais je dis qu’elle est incompatible avec l’existence d’un Dieu infiniment puissant et infiniment bon.
Le raisonnement est connu, ne serait-ce que par les multiples réfutations — toujours impuissantes, du reste — qu’on lui a opposées.
On le fait remonter à Épicure. Il a donc déjà plus de vingt siècles d’existence ; mais, si vieux qu’il soit, il a gardé toute sa vigueur.
Le voici :
Le mal existe ; tous les êtres sensibles connaissent la souffrance. Dieu qui sait tout ne peut pas l’ignorer. Eh bien ! de deux choses l’une :
Ou bien Dieu voudrait supprimer le mal, mais il ne le peut pas ;
Ou bien Dieu pourrait supprimer le mal, mais il ne le veut pas.
Dans le premier cas, Dieu voudrait supprimer le mal ; il est bon, il compatit aux douleurs qui nous accablent, aux maux que nous endurons. Ah ! s’il ne dépendait que de lui ! Le mal serait anéanti et le bonheur fleurirait sur la terre. Encore une fois, il est bon ; mais il ne peut supprimer le mal et, alors, il n’est pas tout-puissant.
Dans le second cas, Dieu pourrait supprimer le mal. Il lui suffirait de vouloir pour que le mal fût aboli : il est tout-puissant ; mais il ne veut pas le supprimer ; et, alors, il n’est pas infiniment bon.
Ici, Dieu est puissant, mais il n’est pas bon ; là, Dieu est bon, mais il n’est pas puissant.
Or, pour que Dieu soit, il ne suffit pas qu’il possède l’une de ces perfections : puissance ou bonté, il est indispensable qu’il les possède toutes les deux.
Ce raisonnement n’a jamais été réfuté.
Entendons-nous : je ne dis pas qu’on n’a jamais essayé de le réfuter ; je dis qu’on n’y est jamais parvenu.
L’essai de réfutation le plus connu est celui-ci :
« Vous posez en termes tout à fait erronés le problème du mal. C’est bien à tort que vous en rendez Dieu responsable. Oui, certes, le mal existe et il est indéniable ; mais c’est l’homme qu’il convient d’en rendre respon-