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Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 1.djvu/446

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se chercher incessamment les unes les autres avec l’impatience de ne se point rencontrer ; ne se rencontrer que pour se dire des riens, que pour s’apprendre réciproquement des choses dont on est également instruite, et dont il importe peu que l’on soit instruite ; n’entrer dans une chambre précisément que pour en sortir ; ne sortir de chez soi l’après-dînée que pour y rentrer le soir, fort satisfaite d’avoir vu en cinq petites heures trois suisses, une femme que l’on connaît à peine, et une autre que l’on n’aime guère ! Qui considérerait bien le prix du temps, et combien sa perte est irréparable, pleurerait amèrement sur de si grandes misères.


2I (VII)


On s’élève à la ville dans une indifférence grossière des choses rurales et champêtres ; on distingue à peine la plante qui porte le chanvre d’avec celle qui produit le lin, et le blé froment d’avec les seigles, et l’un ou l’autre d’avec le méteil : on se contente de se nourrir et de s’habiller. Ne parlez à un grand nombre de bourgeois ni de guérets, ni de baliveaux, ni de provins, ni de regains, si vous voulez être entendu : ces termes pour eux ne sont pas français. Parlez aux uns d’aunage, de tarif, ou de sol pour livre, et aux autres de voie d’appel, de requête civile, d’appointement, d’évocation. Ils connaissent le monde, et encore parce qu’il a de moins beau et de moins spécieux ; ils ignorent la nature, ses commencements, ses progrè