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Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 1.djvu/74

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fermée à de tels hommes par la distance même où ils se trouvent du vulgaire, et par la répugnance que leur inspirent l’intrigue et les vils moyens qu’il faudroit employer pour s’élever aux places et pour s’y maintenir. S’ils sont portés, par cet instinct sublime qui attache notre bonheur à celui de nos semblables, vers une activité généreuse, ils ne peuvent s’y livrer qu’en signalant les méchants, en distinguant ce qui reste de citoyens vertueux, en s’entourant de l’espoir de la génération future, et en combattant ses corrupteurs.

Tels furent la situation et les sentiments de Socrate, lorsqu’il résolut de faire descendre, selon le beau mot de Cicéron, la philosophie du ciel sur la terre, et qu’il s’érigea, pour ainsi dire, en censeur public de ses concitoyens, asservis à la fois par la mollesse et par la tyrannie.

Il combattit les pervers par les armes du ridicule, et s’attacha les vertueux en enflammant dans leur sein le sentiment de la moralité. Mais il chercha vainement à ramener sa patrie à un ordre de choses dont les bases avoient été détruites, et il périt victime de sa noble entreprise.

Bientôt Philippe et Alexandre reléguèrent presque entièrement dans les écoles et dans les livres les sentiments qui autrefois avoient formé des citoyens et des héros. Le philosophe qui vouloit suivre les traces de Socrate étoit condamné au rôle de Diogène ;