Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 1.djvu/78

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qui examine les hommes, et qui développe leurs caractères, et j’ose dire que sur les ouvrages qui traitent des choses qui les touchent de si près, et où il ne s’agit que d’eux-mêmes, ils sont encore extrêmement difficiles à contenter.

Quelques savants ne goûtent que les apophtegmes des anciens et les exemples tirés des Romains, des Grecs, des Perses, des Egyptiens ; l’histoire du monde présent leur est insipide ; ils ne sont point touchés des hommes qui les environnent et avec qui ils vivent, et ne font nulle attention à leurs mœurs. Les femmes, au contraire, les gens de la cour, et tous ceux qui n’ont que beaucoup d’esprit sans érudition, indifférents pour toutes les choses qui les ont précédés, sont avides de celles qui se passent à leurs yeux et qui sont comme sous leur main : ils les examinent, ils les discernent, ils ne perdent pas de vue les personnes qui les entourent, si charmés des descriptions et des peintures que l’on fait de leurs contemporains, de leurs concitoyens, de ceux enfin qui leur ressemblent et à qui ils ne croient pas ressembler, que jusque dans la chaire l’on se croit obligé souvent de suspendre l’Evangile pour les prendre par leur faible, et les ramener à leurs devoirs par des choses qui soient de leur goût et de leur portée.