Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 2.djvu/147

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Les langues sont la clef ou l’entrée des sciences, et rien davantage ; le mépris des unes tombe sur les autres. Il ne s’agit point si les langues sont anciennes ou nouvelles, mortes ou vivantes, mais si elles sont grossières ou polies, si les livres qu’elles ont formés sont d’un bon ou d’un mauvais goût. Supposons que notre langue pût un jour avoir le sort de la grecque et de la latine, serait-on pédant, quelques siècles après qu’on ne la parlerait plus, pour lire Molière ou La Fontaine ?

20 (VI)

Je nomme Eurypyle, et vous dites : « C’est un bel esprit. » Vous dites aussi de celui qui travaille une poutre : « Il est charpentier » ; et de celui qui refait un mur : « Il est maçon. » Je vous demande quel est l’atelier où travaille cet homme de métier, ce bel esprit ? quelle est son enseigne ? à quel habit le reconnaît-on ? quels sont ses outils ? est-ce le coin ? sont-ce le marteau ou l’enclume ? où fend-il, où cogne-t-il son ouvrage ? où l’expose-t-il en vente ? Un ouvrier se pique d’être ouvrier. Eurypyle se pique-t-il d’être bel esprit ? S’il est tel, vous me peignez un fat, qui met l’esprit en roture, une âme vile et mécanique, à qui ni ce qui est beau ni ce qui est esprit ne sauraient s’appliquer sérieusement ; et s’il est vrai qu’il ne se pique de rien, je vous entends, c’est un homme sage et qui a de l’esprit. Ne dites-vous pas encore du savantasse : « Il est bel esprit », et ainsi du mauvais poète ? Mais