Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 2.djvu/177

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sera pape ? » On va plus loin : chacun, selon ses souhaits ou son caprice, fait sa promotion, qui est souvent de gens plus vieux et plus caducs que celui qui est en place ; et comme il n’y a pas de raison qu’une dignité tue celui qui s’en trouve revêtu, qu’elle sert au contraire à le rajeunir, et à donner au corps et à l’esprit de nouvelles ressources, ce n’est pas un événement fort rare à un titulaire d’enterrer son successeur.

93 (V)

La disgrâce éteint les haines et les jalousies. Celui-là peut bien faire, qui ne nous aigrit plus par une grande faveur : il n’y a aucun mérite, il n’y a sorte de vertus qu’on ne lui pardonne ; il serait un héros impunément.

Rien n’est bien d’un homme disgracié : vertus, mérite, tout est dédaigné, ou mal expliqué, ou imputé à vice ; qu’il ait un grand cœur, qu’il ne craigne ni le fer ni le feu, qu’il aille d’aussi bonne grâce à l’ennemi que Bayard et Montrevel, c’est un bravache, on en plaisante ; il n’a plus de quoi être un héros.

Je me contredis, il est vrai : accusez-en les hommes, dont je ne fais que rapporter les jugements ; je ne dis pas de différents hommes, je dis les mêmes, qui jugent si différemment.

94 (VI)