Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 2.djvu/277

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

même : « Je vais faire un livre », sans autre talent pour écrire que le besoin qu’il a de cinquante pistoles. Je lui crie inutilement : « Prenez une scie, Dioscore, sciez, ou bien tournez, ou faites une jante de roue ; vous aurez votre salaire. » Il n’a point fait l’apprentissage de tous ces métiers. « Copiez donc, transcrivez, soyez au plus correcteur d’imprimerie, n’écrivez point. » Il veut écrire et faire imprimer ; et parce qu’on n’envoie pas à l’imprimeur un cahier blanc, il le barbouille de ce qui lui plaît : il écrirait volontiers que la Seine coule à Paris, qu’il y a sept jours dans la semaine, ou que le temps est à la pluie ; et comme ce discours n’est ni contre la religion ni contre l’Etat, et qu’il ne fera point d’autre désordre dans le public que de lui gâter le goût et l’accoutumer aux choses fades et insipides, il passe à l’examen, il est imprimé, et à la honte du siècle, comme pour l’humiliation des bons auteurs, réimprimé. De même un homme dit en son cœur : « Je prêcherai », et il prêche ; le voilà en chaire, sans autre talent ni vocation que le besoin d’un bénéfice.

24 (I)

Un clerc mondain ou irréligieux, s’il monte en chaire, est déclamateur.

Il y a au contraire des hommes saints, et dont le seul caractère est efficace pour la persuasion : ils paraissent, et tout un peuple qui doit les écouter est déjà ému et comme persuadé par leur présence ; le discours qu’ils vont prononcer fera le reste.