Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 2.djvu/340

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telles qu’elles sont et que je les ai vues ? Etant presque toutes différentes entre elles, quel moyen de les faire servir à une même entrée, je veux dire à l’intelligence de mes Remarques ? Nommant des personnes de la cour et de la ville à qui je n’ai jamais parlé, que je ne connais point, peuvent-elles partir de moi et être distribuées de ma main ? Aurais-je donné celles qui se fabriquent à Romorentin, à Mortaigne et à Belesme, dont les différentes applications sont à la baillive, à la femme de l’assesseur, au président de l’Election, au prévôt de la maréchaussée et au prévôt de la collégiate ? Les noms y sont fort bien marqués ; mais ils ne m’aident pas davantage à connaître les personnes. Qu’on me permette ici une vanité sur mon ouvrage : je suis presque disposé à croire qu’il faut que mes peintures expriment bien l’homme en général, puisqu’elles ressemblent à tant de particuliers, et que chacun y croit voir ceux de sa ville ou de sa province. J’ai peint à la vérité d’après nature, mais je n’ai pas toujours songé à peindre celui-ci ou celle-là dans mon livre des Mœurs. Je ne me suis point loué au public pour faire des portraits qui ne fussent que vrais et ressemblants, de peur que quelquefois ils ne fussent pas croyables, et ne parussent feints ou imaginés. Me rendant plus difficile, je suis allé plus loin : j’ai pris un trait d’un côté et un trait d’un autre ; et de ces divers traits qui pouvaient convenir à