Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 2.djvu/349

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Le croirait-on, Messieurs ? cette âme sérieuse et austère, formidable aux ennemis de l’Etat, inexorable aux factieux, plongée dans la négociation, occupée tantôt à affaiblir le parti de l’hérésie, tantôt à déconcerter une ligue, et tantôt à méditer une conquête, a trouvé le loisir d’être savante, a goûté les belles-lettres et ceux qui en faisaient profession. Comparez-vous, si vous l’osez, au grand Richelieu, hommes dévoués à la fortune, qui, par le succès de vos affaires particulières, vous jugez dignes que l’on vous confie les affaires publiques ; qui vous donnez pour des génies heureux et pour de bonnes têtes ; qui dites que vous ne savez rien, que vous n’avez jamais lu, que vous ne lirez point, ou pour marquer l’inutilité des sciences, ou pour paraître ne devoir rien aux autres, mais puiser tout de votre fonds. Apprenez que le cardinal de Richelieu a su, qu’il a lu : je ne dis pas qu’il n’a point eu d’éloignement pour les gens de lettres, mais qu’il les a aimés, caressés, favorisés, qu’il leur a ménagé des privilèges, qu’il leur destinait des pensions, qu’il les a réunis en une Compagnie célèbre, qu’il en a fait l’Académie française. Oui, hommes riches et ambitieux, contempteurs de la vertu, et de toute association qui ne roule pas sur les établissements et sur l’intérêt, celle-ci est une des pensées de ce grand ministre, né homme d’Etat, dévoué à l’Etat, esprit solide, éminent, capable dans ce qu’il faisait des