Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 2.djvu/41

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plus raisonnable. L’on voit une espèce de maux que l’on peut corriger par le changement ou la nouveauté, qui est un mal, et fort dangereux. Il y en a d’autres cachés et enfoncés comme des ordures dans un cloaque, je veux dire ensevelis sous la honte, sous le secret et dans l’obscurité : on ne peut les fouiller et les remuer qu’ils n’exhalent le poison et l’infamie ; les plus sages doutent quelquefois s’il est mieux de connaître ces maux que de les ignorer. L’on tolère quelquefois dans un État un assez grand mal, mais qui détourne un million de petits maux ou d’inconvénients, qui tous seraient inévitables et irrémédiables. Il se trouve des maux dont chaque particulier gémit, et qui deviennent néanmoins un bien public, quoique le public ne soit autre chose que tous les particuliers. Il y a des maux personnels qui concourent au bien et à l’avantage de chaque famille. Il y en a qui affligent, ruinent ou déshonorent les familles, mais qui tendent au bien et à la conservation de la machine de l’État et du gouvernement. D’autres maux renversent des États, et sur leurs ruines en élèvent de nouveaux. On en a vu enfin qui ont sapé par les fondements de grands empires, et qui les ont fait évanouir de dessus la terre, pour varier et renouveler la face de l’univers.

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Qu’importe à l’État qu’Ergaste soit riche, qu’il ait des chiens qui arrêtent bien, qu’il crée les modes