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Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 2.djvu/62

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ses sujets, sans égards, sans compte ni discussion, c’est le langage de la flatterie, c’est l’opinion d’un favori qui se dédira à l’agonie.

29 (VII)

Quand vous voyez quelquefois un nombreux troupeau, qui répandu sur une colline vers le déclin d’un beau jour, paît tranquillement le thym et le serpolet, ou qui broute dans une prairie une herbe menue et tendre qui a échappé à la faux du moissonneur, le berger, soigneux et attentif, est debout auprès de ses brebis ; il ne les perd pas de vue, il les suit, il les conduit, il les change de pâturage ; si elles se dispersent, il les rassemble ; si un loup avide paraît, il lâche son chien, qui le met en fuite ; il les nourrit, il les défend ; l’aurore le trouve déjà en pleine campagne, d’où il ne se retire qu’avec le soleil : quels soins ! quelle vigilance ! quelle servitude ! Quelle condition vous paraît la plus délicieuse et la plus libre, ou du berger ou des brebis ? le troupeau est-il fait pour le berger, ou le berger pour le troupeau ? Image naïve des peuples et du prince qui les gouverne, s’il est bon prince.

Le faste et le luxe dans un souverain, c’est le berger habillé d’or et de pierreries, la houlette d’or en ses mains ; son chien a un collier d’or, il est attaché avec une laisse d’or et de soie. Que sert tant d’or à son troupeau ou contre les loups ?

30 (VII) Quelle heureuse place que celle qui fournit dans tous les instants l’occasion à un homme de faire