Page:La Bruyère - Les Caractères, Flammarion, 1880.djvu/171

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coffres. Les femmes se faisaient servir par des femmes ; on mettait celles-ci jusqu’à la cuisine. Les beaux noms de gouverneurs et de gouvernantes n’étaient pas inconnus à nos pères : ils savaient à qui l’on confiait les enfants des rois et des plus grands princes ; mais ils partageaient le service de leurs domestiques avec leurs enfants, contents de veiller eux-mêmes immédiatement à leur éducation. Ils comptaient en toutes choses avec eux-mêmes : leur dépense était proportionnée à leur recette ; leurs livrées, leurs équipages, leurs meubles, leur table, leurs maisons de la ville et la campagne, tout était mesuré sur leurs rentes et sur leur condition. Il y avait entre eux des distinctions extérieures qui empêchaient qu’on ne prît la femme du praticien pour celle du magistrat, et le roturier ou le simple valet pour le gentilhomme. Moins appliqués à dissiper ou à grossir leur patrimoine qu’à le maintenir, ils le laissaient entier à leurs héritiers, et passaient ainsi d’une vie modérée à une mort tranquille. Ils ne disaient point : Le siècle est dur, la misère est grande, l’argent est rare ; ils en avaient moins que nous, et en avaient assez, plus riches par leur économie et par leur modestie que de leurs revenus et de leurs domaines. Enfin l’on était alors pénétré de cette maxime, que ce qui est dans les grands splendeur, somptuosité, magnificence, est dissipation, folie, ineptie dans le particulier. De la cour

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