Page:La Bruyère - Les Caractères, Flammarion, 1880.djvu/172

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Le reproche en un sens le plus honorable que l’on puisse faire à un homme, c’est de lui dire qu’il ne sait pas la cour : il n’y a sorte de vertus qu’on ne rassemble en lui par ce seul mot.

2 (I)

Un homme qui sait la cour est maître de son geste, de ses yeux et de son visage ; il est profond, impénétrable ; il dissimule les mauvais offices, sourit à ses ennemis, contraint son humeur, déguise ses passions, dément son cœur, parle, agit contre ses sentiments. Tout ce grand raffinement n’est qu’un vice, que l’on appelle fausseté, quelquefois aussi inutile au courtisan pour sa fortune, que la franchise, la sincérité et la vertu.

3 (IV)

Qui peut nommer de certaines couleurs changeantes, et qui sont diverses selon les divers jours dont on les regarde ? de même, qui peut définir la cour ?

4 (IV)

Se dérober à la cour un seul moment, c’est y renoncer : le courtisan qui l’a vue le matin la voit le soir pour la reconnaître le lendemain, ou afin que lui-même y soit connu.

5 (IV)

L’on est petit à la cour, et quelque vanité que l’on ait, on s’y trouve tel ; mais le mal est commun, et les grands mêmes y sont petits.

6 (I)

La province est l’endroit d’où la cour, comme dans son point de vue, paraît une chose admirable : si l’on s’en approche, ses agréments diminuent, comme ceux d’une perspective que l’on voit de trop près.

7 (I)

L’on s’accoutume difficilement à une vie qui se passe dans une antichambre, dans des cours, ou sur l’escalier.

8 (VII)

La cour ne rend pas content ; elle empêche qu’on ne le soit ailleurs.

9 (I)

Il faut qu’un honnête homme ait tâté de la cour : il découvre