Page:La Bruyère - Les Caractères, Flammarion, 1880.djvu/205

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goût de comparaison : ils sont nés et élevés au milieu et comme dans le centre des meilleures choses, à quoi ils rapportent ce qu’ils lisent, ce qu’ils voient et ce qu’ils entendent. Tout ce qui s’éloigne trop de Lulli, de Racine et de Le Brun est condamné.

43 (I)

Ne parler aux jeunes princes que du soin de leur rang est un excès de précaution, lorsque toute une cour met son devoir et une partie de sa politesse à les respecter, et qu’ils sont bien moins sujets à ignorer aucun des égards dus à leur naissance, qu’à confondre les personnes, et les traiter indifféremment et sans distinction des conditions et des titres. Ils ont une fierté naturelle, qu’ils retrouvent dans les occasions ; il ne leur faut des leçons que pour la régler, que pour leur inspirer la bonté, l’honnêteté et l’esprit de discernement.

44 (I)

C’est une pure hypocrisie à un homme d’une certaine élévation de ne pas prendre d’abord le rang qui lui est dû, et que tout le monde lui cède : il ne lui coûte rien d’être modeste, de se mêler dans la multitude qui va s’ouvrir pour lui, de prendre dans une assemblée une dernière place, afin que tous l’y voient et s’empressent de l’en ôter. La modestie est d’une pratique plus amère aux hommes d’une condition ordinaire : s’ils se jettent dans la foule, on les écrase ; s’ils choisissent un poste incommode, il leur demeure.

45 (V)

Aristarque se transporte dans la place avec un héraut et un trompette ; celui-ci commence : toute la multitude accourt et se rassemble. « Ecoutez, peuple, dit le héraut ; soyez attentifs ; silence, silence ! Aristarque, que vous voyez présent, doit faire demain une bonne action. » Je dirai plus simplement et sans figure : « Quelqu’un fait bien ; veut-il faire mieux ? que je ne sache pas qu’il fait bien, ou que je ne le soupçonne pas du moins de me l’avoir appris. »

46 (VI)

Les meilleures actions s’altèrent et s’affaiblissent par la manière dont on les fait, et laissent même douter des intentions. Celui qui protège ou qui loue la vertu pour la vertu, qui corrige ou qui blâme le vice à cause du vice, agit simplement, naturellement, sans aucun tour, sans nulle singularité,