Page:La Bruyère - Les Caractères, Flammarion, 1880.djvu/287

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Le plus grand malheur, après celui d’être convaincu d’un crime, est souvent d’avoir eu à s’en justifier. Tels arrêts nous déchargent et nous renvoient absous, qui sont infirmés par la voix du peuple.

89 (I)

Un homme est fidèle à de certaines pratiques de religion, on le voit s’en acquitter avec exactitude : personne ne le loue ni ne le désapprouve ; on n’y pense pas. Tel autre y revient après les avoir négligées dix années entières : on se récrie, on l’exalte ; cela est libre : moi, je le blâme d’un si long oubli de ses devoirs, et je le trouve heureux d’y être rentré.

90 (IV)

Le flatteur n’a pas assez bonne opinion de soi ni des autres.

9I (IV)

Tels sont oubliés dans la distribution des grâces, et font dire d’eux : Pourquoi les oublier ? qui, si l’on s’en était souvenu, auraient fait dire : Pourquoi s’en souvenir ? D’où vient cette contrariété ? Est-ce du caractère de ces personnes, ou de l’incertitude de nos jugements, ou même de tous les deux ?

92 (VI)

L’on dit communément : « Après un tel, qui sera chancelier ? qui sera primat des Gaules ? qui sera pape ? » On va plus loin : chacun, selon ses souhaits ou son caprice, fait sa promotion, qui est souvent de gens plus vieux et plus caducs que celui qui est en place ; et comme il n’y a pas de raison qu’une dignité tue celui qui s’en trouve revêtu, qu’elle sert au contraire à le rajeunir, et à donner au corps et à l’esprit de nouvelles ressources, ce n’est pas un événement fort rare à un titulaire d’enterrer son successeur.

93 (V)

La disgrâce éteint les haines et les jalousies. Celui-là peut bien faire, qui ne nous aigrit plus par une grande faveur : il n’y a aucun mérite, il n’y a sorte de vertus qu’on ne lui pardonne ; il serait un héros impunément.

Rien n’est bien d’un homme disgracié : vertus, mérite, tout est dédaigné, ou mal expliqué, ou imputé à vice ; qu’il ait un grand cœur, qu’il ne craigne ni le fer ni le feu, qu’il aille d’aussi bonne grâce à l’ennemi que Bayard et Montrevel,