Page:La Bruyère - Les Caractères, Flammarion, 1880.djvu/329

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

et c’est en cet état qu’il est cassé et déclaré nul.

59 (V)

Titius assiste à la lecture d’un testament avec des yeux rouges et humides, et le cœur serré de la perte de celui dont il espère recueillir la succession. Un article lui donne la charge, un autre les rentes de la ville, un troisième le rend maître d’une terre à la campagne ; il y a une clause qui, bien entendue, lui accorde une maison située au milieu de Paris, comme elle se trouve, et avec les meubles : son affliction augmente, les larmes lui coulent des yeux. Le moyen de les contenir ? Il se voit officier, logé aux champs et à la ville, meublé de même ; il se voit une bonne table et un carrosse : Y avait-il au monde un plus honnête homme que le défunt, un meilleur homme ? Il y a un codicille, il faut le lire : il fait Maevius légataire universel, et il renvoie Titius dans son faubourg, sans rentes, sans titres, et le met à pied. Il essuie ses larmes : c’est à Maevius à s’affliger.

60 (V)

La loi qui défend de tuer un homme n’embrasse-t-elle pas dans cette défense le fer, le poison, le feu, l’eau, les embûches, la force ouverte, tous les moyens enfin qui peuvent servir à l’homicide ? La loi qui ôte aux maris et aux femmes le pouvoir de se donner réciproquement, n’a-t-elle connu que les voies directes et immédiates de donner ? a-t-elle manqué de prévoir les indirectes ? a-t-elle introduit les fidéicommis, ou si même elle les tolère ? Avec une femme qui nous est chère et qui nous survit, lègue-t-on son bien à un ami fidèle par un sentiment de reconnaissance pour lui, ou plutôt par une extrême confiance, et par la certitude qu’on a du bon usage qu’il saura faire de ce qu’on lui lègue ? Donne-t-on à celui que l’on peut soupçonner de ne devoir pas rendre à la personne à qui en effet l’on veut donner ? Faut-il se parler, faut-il s’écrire, est-il besoin de pacte ou de serments pour former cette collusion ? Les hommes ne sentent-ils pas en ce rencontre ce qu’ils peuvent espérer les uns des autres ? Et si au contraire la propriété d’un tel bien est dévolue au fidéicommissaire, pourquoi perd-il sa réputation à le retenir ? Sur quoi fonde-t-on la satire et les vaudevilles ? Voudrait-on le comparer au