Page:La Bruyère - Les Caractères, Flammarion, 1880.djvu/78

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de se parfumer, de se mettre des mouches, de recevoir des billets et d’y faire réponse : mettez ce rôle sur la scène, plus longtemps vous le ferez durer, un acte, deux actes, plus il sera naturel et conforme à son original ; mais plus aussi il sera froid et insipide.

❡ Il semble que le roman et la comédie pourraient être aussi utiles qu’ils sont nuisibles ; l’on y voit de si grands exemples de constance, de vertu, de tendresse et de désintéressement, de si beaux et de si parfaits caractères, que, quand une jeune personne jette de là sa vue sur tout ce qui l’entoure, ne trouvant que des sujets indignes et fort au-dessous de ce qu’elle vient d’admirer, je m’étonne qu’elle soit capable pour eux de la moindre faiblesse.

Corneille ne peut être égalé dans les endroits où il excelle : il a pour lors un caractère original et inimitable, mais il est inégal. Ses premières comédies sont sèches, languissantes, et ne laissaient pas espérer qu’il dût aller si loin comme ses dernières font qu’on s’étonne qu’il ait pu tomber de si haut. Dans quelques-unes de ses meilleures pièces, il y a des fautes inexcusables contre les mœurs, un style de déclamateur qui arrête l’action et la fait languir, des négligences dans les vers et dans l’expression qu’on ne peut comprendre en un si grand homme. Ce qu’il y a en lui de plus éminent, c’est l’esprit, qu’il avait sublime, auquel il a été redevable de certains vers les plus heureux qu’on ait jamais lu[1] d’ailleurs, de la conduite de son théâtre qu’il a quelquefois hasardée contre les règles des anciens, et enfin de ses dénouements, car il ne s’est pas toujours assujetti au goût des Grecs et à leur grande simplicité ; il a aimé, au contraire, à charger la scène d’événements dont il est presque toujours sorti avec succès, admirable surtout par l’extrême variété et le peu de rapport qui se trouve pour le dessein entre un si grand nombre de poèmes qu’il a composés. Il semble qu’il y ait plus de ressemblance dans ceux de Racine, et qui tendent[2] un peu plus à une même chose ; mais il est égal, soutenu, toujours le même partout, soit pour le dessein et la conduite de ses pièces, qui sont

  1. Lu est sans accord dans toutes les éditions du XVIIe siècle.
  2. Et qui tendent, faute évidente, que nous avons maintenue parce qu’elle se trouve dans toutes les éditions donnée par La Bruyère. Il faudrait : et qu’ils tendent.