Page:La Bruyere - Caracteres ed 1696.djvu/111

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un miroir ſi elles s’éloignent aſſez de leur naturel. Ce n’eſt pas ſans peine qu’elles plaiſent moins

5. — Chez les femmes, ſe parer & ſe farder n’eſt pas, je l’avoue, parler contre ſa penſée ; c’eſt plus auſſi que le traveſtiſſement & la maſcarade, où l’on ne ſe donne point pour ce que l’on paroit eſtre, mais où l’on penſe ſeulement à ſe cacher & à ſe faire ignorer : c’eſt chercher à impoſer aux yeux, & vouloir paraître ſelon l’extérieur contre la vérité ; c’eſt une eſpèce de menterie. Il faut juger des femmes depuis la chauſſure juſqu’à la coiffure excluſivement, à peu près comme on meſure le poiſſon entre queue & teſte.

6. — Si les femmes veulent ſeulement eſtre belles à leurs propres yeux & ſe plaire à elles-meſmes, elles peuvent ſans doute, dans la manière de s’embellir, dans le choix des ajuſtements & de la parure, ſuivre leur goût & leur caprice ; mais ſi c’eſt aux hommes qu’elles déſirent de plaire, ſi c’eſt pour eux qu’elles ſe fardent ou qu’elles s’enluminent, j’ai recueilli les voix, & je leur prononce, de la part de tous les hommes ou de la plus grande partie, que le blanc & le rouge les rend affreuſes & dégoûtantes ; que le rouge ſeul les vieillit & les déguiſe ; qu’ils haïſſent autant à les voir avec de la céruſe ſur le viſage, qu’avec de fauſſes dents en la bouche, & des boules de cire dans les machoires ; qu’ils proteſtent ſérieuſement contre tout l’artifice dont elles uſent pour ſe rendre laides, & que, bien loin d’en répondre devant Dieu, il ſemble au contraire qu’il leur ait réſervé ce dernier & infaillible moyen de guérir des femmes. Si les femmes étaient telles naturellement qu’elles le deviennent par un artifice, qu’elles perdiſſent