Page:La Bruyere - Caracteres ed 1696.djvu/138

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C’eſt faibleſſe que d’aimer ; c’eſt ſouvent une autre faibleſſe que de guérir. On guérit comme on ſe conſole : on n’a pas dans le cœur de quoy toujours pleurer & toujours aimer.

35. — Il devroit y avoir dans le cœur des ſources inépuiſables de douleur pour de certaines pertes. Ce n’eſt guère par vertu ou par force d’eſprit que l’on ſort d’une grande affliction : l’on pleure amèrement, & l’on eſt ſenſiblement touché ; mais l’on eſt enſuite ſi faible ou ſi léger que l’on ſe conſole.

36. — Si une laide ſe foit aimer, ce ne peut eſtre qu’éperdument ; car il faut que ce ſoyt ou par une étrange faibleſſe de ſon amant, ou par de plus ſecrets & de plus invincibles charmes que ceux de la beauté.

37. — L’on eſt encore longtemps à ſe voir par l’habitude, & à ſe dire de bouche que l’on s’aime, après que les manières diſent qu’on ne s’aime plus.

38. — Vouloir oublier quelqu’un, c’eſt y penſer. L’amour a cela de commun avec les ſcrupules, qu’il s’aigrit par les réflexions & les retours que l’on foit pour s’en délivrer. Il faut, s’il ſe peut, ne point ſonger à ſa paſſion pour l’affaiblir.

39. — L’on veut faire tout le bonheur, ou ſi cela ne ſe peut ainſi, tout le malheur de ce qu’on aime.

40. — Regretter ce que l’on aime eſt un bien, en comparaiſon de vivre avec ce que l’on hait.

41. — Quelque déſintéreſſement qu’on ait à l’égard de ceux qu’on aime, il faut quelquefois ſe contraindre pour eux, & avoir la généroſité de recevoir. Celuy-là peut prendre, qui goûte un plaiſir auſſi délicat à recevoir que ſon ami en ſent à luy donner.