Page:La Bruyere - Caracteres ed 1696.djvu/144

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je jouirais de la tranquillité de celuy qui eſt gouverné par la raiſon.

72. — Toutes les paſſions ſont menteuſes : elles ſe déguiſent autant qu’elles le peuvent aux yeux des autres ; elles ſe cachent à elles-meſmes. Il n’y a point de vice qui n’ait une fauſſe reſſemblance avec quelque vertu, & qui ne s’en aide.

73. — On ouvre un livre de dévotion, & il touche ; on en ouvre un autre qui eſt galant & il foit ſon impreſſion. Oſerai-je dire que le cœur ſeul concilie les choſes contraires, & admet les incompatibles ?

74. — Les hommes rougiſſent moins de leurs crimes que de leurs faibleſſes & de leur vanité. Tel eſt ouvertement injuſte, violent, perfide, calomniateur, qui cache ſon amour ou ſon ambition, ſans autre vue que de la cacher.

75. — Le cas n’arrive guère où l’on puiſſe dire : « J’étais ambitieux » ; ou on ne l’eſt point, ou on l’eſt toujours ; mais le temps vient où l’on avoue que l’on a aimé.

76. — Les hommes commencent par l’amour, finiſſent par l’ambition, & ne ſe trouvent ſouvent dans une aſſiette plus tranquille que lorſqu’ils meurent.

77. — Rien ne coûte moins à la paſſion que de ſe mettre au-deſſus de la raiſon : ſon grand triomphe eſt de l’emporter ſur l’intéreſt.

78. — L’on eſt plus ſociable & d’un meilleur commerce par le cœur que par l’eſprit.

79. — Il y a de certains grands ſentiments, de certaines actions nobles & élevées, que nous devons moins à la force de noſtre eſprit qu’à la bonté de noſtre naturel.

80. — Il n’y a guère au monde un plus bel excès que celuy de la reconnaiſſance.

81. — Il faut eſtre bien dénué d’eſprit, ſi l’amour, la malignité, la néceſſité n’en