Page:La Bruyere - Caracteres ed 1696.djvu/143

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ent gouverner juſqu’à un certain point, qui au delà ſont intraitables & ne ſe gouvernent plus : on perd tout à coup la route de leur cœur & de leur eſprit ; ni hauteur ni ſoupleſſe, ni force ni induſtrie ne les peuvent dompter : avec cette différence que quelques-uns ſont ainſi faits par raiſon & avec fondement, & quelques autres par tempérament & par humeur. Il ſe trouve des hommes qui n’écoutent ni la raiſon ni les bons conſeils, & qui s’égarent volontairement par la crainte qu’ils ont d’eſtre gouvernez. D’autres conſentent d’eſtre gouvernez par leurs amis en des choſes preſque indifférentes, & s’en font un droit de les gouverner à leur tour en des choſes graves & de conſéquence. Drance veut paſſer pour gouverner ſon maître, qui n’en croit rien, non plus que le public : parler ſans ceſſe à un grand que l’on ſert, en des lieux & en des temps où il convient le moins, luy parler à l’oreille ou en des termes myſtérieux, rire juſqu’à éclater en ſa préſence, luy couper la parole, ſe mettre entre luy & ceux qui luy parlent, dédaigner ceux qui viennent faire leur cour ou attendre impatiemment qu’ils ſe retirent, ſe mettre proche de luy en une poſture trop libre, figurer avec luy le dos appuyé à une cheminée, le tirer par ſon habit, luy marcher ſur les talons, faire le familier, prendre des libertez, marquent mieux un fat qu’un favori. Un homme ſage ni ne ſe laiſſe gouverner, ni ne cherche à gouverner les autres : il veut que la raiſon gouverne ſeule, & toujours. Je ne haïrais pas d’eſtre livré par la confiance à une perſonne raiſonnable, & d’en eſtre gouverné en toutes choſes, & abſolument, & toujours : je ſerais sûr de bien faire, ſans avoir le ſoyn de délibérer ;