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Page:La Bruyere - Caracteres ed 1696.djvu/151

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ait eu intention de le lui donner, il n’est pas encore assis qu’il a à son insu désobligé toute l’assemblée. A-t-on servi, il se met le premier à table et dans la première place, les femmes sont à sa droite et à sa gauche. Il mange il boit, il conte, il plaisante, il interrompt tout à la fois. Il n’a nul discernement des personnes, ni du maître, ni des conviés ; il abuse de la folle déférence qu’on a pour lui. Est-ce lui, est-ce Euthydème qui donne le repas ? Il rappelle à soi toute l’autorité de la table, et il y a un moindre inconvénient à la lui laisser entière qu’à la lui disputer. Le vin et les viandes n’ajoutent rien à son caractère. Si l’on joue, il gagne au jeu, il veut railler celui qui perd, et il l’offense, les rieurs sont pour lui : il n’y a sorte de fatuités qu’on ne lui passe. Je cède enfin et je disparais, incapable de souffrir plus longtemps Théodecte, et ceux qui le souffrent.

13. — Troïle est utile à ceux qui ont trop de bien : il leur ôte l’embarras du superflu il leur sauve la peine d’amasser de l’argent, de faire des contrats, de fermer des coffres, de porter des clefs sur soi et de craindre un vol domestique. Il les aide dans leurs plaisirs, et il devient capable ensuite de les servir dans leurs passions ; bientôt il les règle et les maîtrise dans leur conduite. Il est l’oracle d’une maison, celui dont on attend, que dis-je ? dont on prévient, dont on devine les décisions. Il dit de cet esclave : « Il faut le punir », et on le fouette ; et de cet autre : « Il faut l’affranchir », et on l’affranchit. L’on voit qu’un parasite ne le fait pas rire ; il peut lui déplaire : il est congédié. Le maître est heureux, si Troïle lui laisse sa femme et ses enfants. Si celui-ci est à table, et qu’il prononce d’un mets qu’il est friand, le maître et les conviés, qui en mangeaient sans