Page:La Bruyere - Caracteres ed 1696.djvu/182

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Quand on eſt jeune, ſouvent on eſt pauvre : ou l’on n’a pas encore foit d’acquiſitions, ou les ſucceſſions ne ſont pas échues. L’on devient riche & vieux en meſme temps : tant il eſt rare que les hommes puiſſent réunir tous leurs avantages ! & ſi cela arrive à quelques-uns, il n’y a pas de quoy leur porter envie : ils ont aſſez à perdre par la mort pour mériter d’eſtre plaints.

40. — Il faut avoir trente ans pour ſonger à ſa fortune, elle n’eſt pas faite à cinquante, l’on batit dans la vieilleſſe, & l’on meurt quand on en eſt aux peintres & aux vitriers.

41. — Quel eſt le fruit d’une grande fortune, ſi ce n’eſt de jouir de la vanité, de l’induſtrie, du travail & de la dépenſe de ceux qui ſont venus avant nous, & de travailler nous-meſmes, de planter, de batir, d’acquérir pour la poſtérité ?

42. — L’on ouvre & l’on étale tous les matins pour tromper ſon monde ; & l’on ferme le ſoyr après avoir trompé tout le jour.

43. — Le marchand foit des montres pour donner de ſa marchandiſe ce qu’il y a de pire ; il a le cati & les faux jours afin d’en cacher les défauts, & qu’elle paraiſſe bonne ; il la ſurfoit pour la vendre plus cher qu’elle ne vaut ; il a des marques fauſſes & myſtérieuſes, afin qu’on croie n’en donner que ſon prix, un mauvais aunage pour en livrer le moins qu’il ſe peut ; & il a un trébuchet, afin que celuy à qui il l’a livrée la luy paye en or qui ſoyt de poids.

44. — Dans toutes les conditions, le pauvre eſt bien proche de l’homme de bien, & l’opulent n’eſt guère éloigné de la friponnerie. Le ſavoir-faire & l’habileté ne mènent pas juſques aux énormes richeſſes.