Page:La Bruyere - Caracteres ed 1696.djvu/197

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des ſemences de diviſion pour rompre dans celle qui doit ſuivre, l’intéreſt de la beauté les incidents du jeu, l’extravagance des repas, qui modeſtes au commencement, dégénèrent bientoſt en pyramides de viandes & en banquets ſomptueux dérangent la république, & luy portent enfin le coup mortel : il n’eſt en fort peu de temps non plus parlé de cette nation que des mouches de l’année paſſée.

5. — Il y a dans la ville la grande & la petite robe ; & la première ſe venge ſur l’autre des dédains de la cour, & des petites humiliations qu’elle y eſſuie. De ſavoir quelles ſont leurs limites, où la grande finit, & où la petite commence, ce n’eſt pas une choſe facile. Il ſe trouve meſme un corps conſidérable qui refuſe d’eſtre du ſecond ordre, & à qui l’on conteſte le premier : il ne ſe rend pas néanmoins, il cherche au contraire, par la gravité & par la dépenſe, à s’égaler à la magiſtrature, ou ne luy cède qu’avec peine : on l’entend dire que la nobleſſe de ſon emploi, l’indépendance de ſa profeſſion, le talent de la parole & le mérite perſonnel balancent au moins les ſacs de mille francs que le fils du partiſan ou du banquier a ſu payer pour ſon office.

6. — Vous moquez-vous de reſver en carroſſe, ou peut-eſtre de vous y repoſer ? Vite, prenez votre livre ou vos papiers, liſez, ne ſaluez qu’à peine ces gens qui paſſent dans leur équipage ; ils vous en croiront plus occupé ; ils diront : « Cet homme eſt laborieux, infatigable ; il lit, il travaille juſques dans les rues ou ſur la route. » Apprenez du moindre avocat qu’il faut paraître accablé d’affaires, froncer le ſourcil & reſve à rien tres-profondément ; ſavoir à propos perdre le boire & le manger, ne faire qu’apparoir dans ſa maiſon, s’évanouir & ſe