Page:La Bruyere - Caracteres ed 1696.djvu/199

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d’un lambel, & les autres d’une bordure dentelée. « Ils ont avec les BOURBONS, ſur une meſme couleur, un meſme métal ; ils portent, comme eux, deux & une : ce ne ſont pas des fleurs de lis mais ils s’en conſolent, peut-eſtre dans leur cœur trouvent-ils leurs pièces auſſi honorables, & ils les ont communes avec de grands ſeigneurs qui en ſont contents : on les voit ſur les litres & ſur les vitrages, ſur la porte de leur chateau, ſur le pilier de leur haute-juſtice, où ils viennent de faire pendre un homme qui méritoit le banniſſement ; elles s’offrent aux yeux de toutes parts, elles ſont ſur les meubles & ſur les ſerrures, elles ſont ſemées ſur les carroſſes ; leurs livrées ne déſhonorent point leurs armoiries. Je dirais volontiers aux Sannions : » Votre folie eſt prématurée ; attendez du moins que le ſiècle s’achève ſur votre race ; ceux qui ont vu votre grand-père, qui luy ont parlé, ſont vieux, & ne ſauraient plus vivre longtemps. Qui pourra dire comme eux : « Là il étalait, & vendoit tres-cher » ? Les Sannions & les Criſpins veulent encore davantage que l’on diſe d’eux qu’ils font une grande dépenſe, qu’ils n’aiment à la faire. Ils font un récit long & ennuyeux d’une feſte ou d’un repas qu’ils ont donné ; ils diſent l’argent qu’ils ont perdu au jeu, & ils plaignent fort haut celuy qu’ils n’ont pas ſongé à perdre. Ils parlent jargon & myſtère ſur de certaines femmes ; ils ont réciproquement cent choſes plaiſantes à ſe conter ; ils ont foit depuis peu des découvertes ; ils ſe paſſent les uns aux autres qu’ils ſont gens à belles aventures. L’un d’eux, qui s’eſt couché tard à la campagne, & qui voudroit dormir, ſe lève matin, chauſſe des gueſtres, endoſſe un habit de toile, paſſe un cordon où pend le fourniment, renoue ſes cheveux,