Page:La Bruyere - Caracteres ed 1696.djvu/78

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toujours partagez d’opinions & de ſentiments les grands & le peuple : ils s’accordent tous à le ſavoir de mémoire, & à prévenir au théatre les acteurs qui le récitent. Le Cid enfin eſt l’un des plus beaux poèmes que l’on puiſſe faire ; & l’une des meilleures critiques qui aient été faites ſur aucun ſujet eſt celle du Cid.

31. — Quand une lecture vous élève l’eſprit, & qu’elle vous inſpire des ſentiments nobles & courageux, ne cherchez pas une autre règle pour juger l’ouvrage ; il eſt bon, & foit de main d’ouvrier.

32. — Capys, qui s’érige en juge du beau ſtyle & qui croit écrire comme BOUHOURS & RABUTIN, réſiſte à la voix du peuple, & dit tout ſeul que Damis n’eſt pas un bon auteur. Damis cède à la multitude & dit ingénument avec le public que Capys eſt froid écrivain.

33. — Le devoir du nouvelliſte eſt de dire : « Il y a un tel livre qui court, & qui eſt imprimé chez Cramoiſy en tel caractère, il eſt bien relié en beau papier, il ſe vend tant » ; il doit ſavoir juſques à l’enſeigne du libraire qui le débite : ſa folie eſt d’en vouloir faire la critique. Le ſublime du nouvelliſte eſt le raiſonnement creux ſur la politique. Le nouvelliſte ſe couche le ſoyr tranquillement ſur une nouvelle qui ſe corrompt la nuit, & qu’il eſt obligé d’abandonner le matin à ſon réveil.

34. — Le philoſophe conſume ſa vie à obſerver les hommes, & il uſe ſes eſprits à en démeſler les vices & le ridicule ; s’il donne quelque tour à ſes penſées, c’eſt moins par une vanité d’auteur, que pour mettre une vérité qu’il a trouvée dans tout le jour né