Page:La Bruyere - Caracteres ed 1696.djvu/86

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de s’en divertir. Le payſan ou l’ivrogne fournit quelques ſcènes à un farceur, il n’entre qu’à peine dans le vrai comique : comment pourrait-il faire le fond ou l’action principale de la comédie ? « Ces caractères, dit-on, ſont naturels. » Ainſi, par cette règle, on occupera bientoſt tout l’amphithéatre d’un laquais qui ſiffle, d’un malade dans ſa garde-robe, d’un homme ivre qui dort ou qui vomit : y a-t-il rien de plus naturel ? C’eſt le propre d’un efféminé de ſe lever tard, de paſſer une partie du jour à ſa toilette, de ſe voir au miroir, de ſe parfumer de ſe mettre des mouches, de recevoir des billets & d’y faire réponſe. Mettez ce roſle ſur la ſcène. Plus longtemps vous le ferez durer, un acte, deux actes, plus il ſera naturel & conforme à ſon original, mais plus auſſi il ſera froid & inſipide.

53. — Il ſemble que le roman & la comédie pourraient eſtre auſſi utiles qu’ils ſont nuiſibles. L’on y voit de ſi grands exemples de conſtance, de vertu, de tendreſſe & de déſintéreſſement, de ſi beaux & de ſi parfaits caractères, que quand une jeune perſonne jette de là ſa vue ſur tout ce qui l’entoure, ne trouvant que des ſujets indignes & fort au-deſſous de ce qu’elle vient d’admirer, je m’étonne qu’elle ſoyt capable pour eux de la moindre faibleſſe.

54. — CORNEILLE ne peut eſtre égalé dans les endroits où il excelle : il a pour lors un caractère original & inimitable ; mais il eſt inégal. Ses premières comédies ſont sèches, languiſſantes, & ne laiſſaient pas eſpérer qu’il dût enſuite aller ſi loin ; comme ſes dernières font qu’on s’étonne qu’il ait pu tomber de ſi haut. Dans quelques-unes de ſes meilleures pièces, il y a des fautes inexcuſables contre les mœurs un ſtyle de déclamateur qui arreſ