Page:La Bruyere - Caracteres ed 1696.djvu/91

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

crits ſi l’on affecte une fineſſe de tour, & quelquefois une trop grande délicateſſe, ce n’eſt que par la bonne opinion qu’on a de ſes lecteurs.

58. — L’on a cette incommodité à eſſuyer dans la lecture des livres faits par des gens de parti & de cabale, que l’on n’y voit pas toujours la vérité. Les faits y ſont déguiſez, les raiſons réciproques n’y ſont point rapportées dans toute leur force, ni avec une entière exactitude ; et, ce qui uſe la plus longue patience, il faut lire un grand nombre de termes durs & injurieux que ſe diſent des hommes graves, qui d’un point de doctrine ou d’un foit conteſté ſe font une querelle perſonnelle. Ces ouvrages ont cela de particulier qu’ils ne méritent ni le cours prodigieux qu’ils ont pendant un certain temps, ni le profond oubli où ils tombent lors que, le feu & la diviſion venant à s’éteindre, ils deviennent des almanachs de l’autre année.

59. — La gloire ou le mérite de certains hommes eſt de bien écrire ; & de quelques autres, c’eſt de n’écrire point.

60. — L’on écrit régulièrement depuis vingt années ; l’on eſt eſclave de la conſtruction l’on a enrichi la langue de nouveaux mots, ſecoué le joug du latiniſme, & réduit le ſtyle à la phraſe purement françaiſe ; l’on a preſque retrouvé le nombre que MALHERBE & BALZAC avaient les premiers rencontré, & que tant d’auteurs depuis eux ont laiſſé perdre ; l’on a mis enfin dans le diſcours tout l’ordre & toute la netteté dont il eſt capable : cela conduit inſenſiblement à y mettre de l’eſprit.

61. — Il y a des artiſans ou des habiles dont l’eſprit eſt auſſi vaſte que l’art & la ſcience qu’ils profeſſent ; ils luy rendent avec avantage, par le génie & par l’invention,