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Deuil blanc de l’aube après le sourire des nuits
Qui s’éplore, brume égarée au vent ; et puis
Le soleil qui va me retrouver les mains jointes.

L’ange est parti ; maintenant il regrette
Puis se redresse à l’orgueil d’une feinte victoire.

Je sais bien que la nuit en eût été plus belle
Plus bleue aussi la clarté céleste, et plus telle
Que mon rêve déçu l’objectait vaguement
Pour occuper mon âme inquiète au moment
D’être seule et tremblant de son inquiétude.
C’est fini. Reprenez votre grave attitude
Yeux éteints et bras retombés pour relier
Les mains prises encore au geste de prière,
Et… va-t-en, fleur menteuse ! évade-toi, chimère !
Je suis seul ! Je suis seul ! Et je m’en vais prier.


ANDRÉ GIDE.




VIERGE INCERTAINE



Toi qui verses, les nuits tendres, sur tes pieds blancs
Des larmes de statue oubliée et brisée,
Telle une douloureuse et mystique rosée,
Par qui se courbent les doux calices tremblants,

J’irai, ce soir, vers l’eau taciturne où bleuissent
De pâles fleurs, dans la triste mare d’azur,
Cueillir pour tes doigts longs l’iris antique et pur
Que les pleurs amoureux de la fontaine emplissent.

Ainsi je t’aimerai dans ton droit vêtement,
Tes yeux morts dans les miens arrêtés longuement,
Avec ma fleur en tes mains vagues d’innocence ;

Nous resterons longtemps muets, d’ombre voilés.
Et je t’adorerai sous ces bois violets
Où de pudiques lys grandissent en silence…


PAUL VALÉRY.