Page:La Corée Libre, numéro 4 et 5, août-septembre 1920.djvu/29

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de croire qu’elle soit dans tous les cœurs, mais elle n’est pas dans tous les actes, l’impérialisme ayant répandu sur la terre des miasmes délétères dont la justice ne s’accommode pas.

Le mal n’est pas spécial à l’Europe ; ainsi, un pays grand comme la moitié de la France, peuplé de 18 millions d’habitants, pourvu d’une langue et d’une civilisation remontant à plusieurs milliers d’années, a pu disparaître, en tant que nationalité, sans qu’on y ait prêté attention. Je parle de la Corée, escamotée par les Japonais avec une maestria digne d’une entreprise plus relevée.

On doit la vérité à ses amis ; les Japonais étant nos amis, expliquons-nous librement avec eux. La France ne leur a jamais marchandé ses sympathies profondes, de même qu’elle a rendu hommage à l’œuvre grandiose qu’ils ont accomplie pour rénover leurs institutions et les adapter, en peu d’années, aux conditions de cette civilisation moderne, où ils ont puisé à pleines mains, sans toujours, malheureusement, séparer l’ivraie du bon grain. En empruntant à l’Occident ses conceptions sociales, en les semant, à la volée, sur leur sol, ils préparaient fatalement des récoltes d’une pureté douteuse ; la mégalomanie, notamment, trouva chez eux un terrain très favorable.

L’infortune de la Corée — le doux et poétique « pays du Matin Calme », — date de la guerre russo-japonaise. Fort de ses succès, le Japon contraint sa voisine à accepter son contrôle sur les communications, les postes et les télégraphes. Après cette première main-mise, il obtient de la Russie vaincue qu’elle lui reconnaisse en Corée « des intérêts militaires, politiques et économiques primordiaux ». Le Tsar souscrit à tout ce que lui demande le vainqueur. L’année suivante, le traité anglo-japonais vient confirmer cette clause et c’en est fait de l’indépendance coréenne ! Bientôt, les événements se précipitent en 1905, le Japon impose à la Corée son protectorat ; puis, en 1910, une annexion définitive ; il réalise ainsi son projet, mûrement préparé, d’hégémonie sur le continent asiatique. — dont l’affaire du Chantong fut une autre et éclatante manifestation.

Si l’impérialisme nippon recèle incontestablement des appétits, — la Corée possède des forêts magnifiques et des richesses minières infinies, — il s’appuie également sur des traditions religieuses : le Mikado descend de la déesse du Soleil ; il est le roi et le prophète, l’incarnation du divin ; son peuple est le premier du monde : nihon ichi (Japon premier) est la traduction du Deutschland über alles.

Quoi qu’il en soit, le Coréen n’a plus de patrie ; il est traqué comme une bête sauvage dans son propre pays ; s’il le quitte et prétend y rentrer, il doit obtenir l’autorisation de la police japonaise ; il ne peut y circuler sans une justification précise du but de son déplacement. La liberté de la presse, les droits de réunion, d’association, de pétition lui sont, bien entendu, refusés et, dans les écoles, tenues par des maîtres japonais, on enseigne uniquement la langue et l’histoire du Japon. Enfin, en vertu d’un système ingénieux et perfide, on dépouille les indigènes des terres qu’ils possèdent dans les régions fertiles ; pour cela, on les accable d’impôts si lourds qu’ils sont acculés à la nécessité de vendre leurs biens ; le gouvernement de Tokio les achète et en confie l’exploitation à des colons japonais.

Ces pratiques, la France les réprouve d’autant plus sévèrement qu’elles lui rappellent celles qu’employa l’Allemand pour germaniser l’Alsace et la Lorraine.

— Mais alors, pourra-t-on dire, puisque l’Allemand échoua dans son entreprise, le Japonais ne réussira peut-être pas davantage dans la sienne ? Je le crois volontiers, car la population du « pays du Matin Calme » oppose à l’envahisseur une résistance acharnée et ne paraît pas disposée à courber la tête. L’an dernier, un grand mouvement a été déclenché : quinze chrétiens, quinze adeptes de la religion nationale, et trois bouddhistes se sont réunis et ont proclamé, — sans distinction de religion — l’indépendance de la Corée. Ils ont agi au vu et au su de tous, en présence même de la police japonaise, — qui les a fait immédiatement arrêter. Depuis, des manifestations analogues se renouvellent périodiquement et la répression, souvent brutale de la police, n’en ralentit pas le cours