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de simia qu’il traîne selon la méthode par les diverses gradations qu’il fait essuyer aux mots radicaux ; mais un de nos anciens Poëtes nous conduit très-naturellement à l’origine de simagrée. En parlant des Juges qui faisoient plier les règles sous leur autorité, et qui vouloient que leurs décisions fussent la suprême loi, il dit qu’ils jouoient au jeu S’y m’agrée ; c’est-à-dire, il m’agrée, il me plaît ainsi. Le mot jouer étoit fréquemment employé pour former de pareilles phrases. Les simagrées étoient donc proprement les airs d’un Juge sur son tribunal où il tranchoit du souverain. Dans la satire contre le Président Liset, Bèse qui prononçoit chimagrée, se sert du mot chimagrea au sujet des cérémonies qu’il traite de superstitieuses, et dont il prétend que Liset est le législateur et l’ordonnateur. On a dans la suite étendu ce mot à toute espèce de grimace.

Ce que je dis de l’étymologie de nos mots François, peut trouver son application dans plusieurs autres Langues. De tout temps nous avons emprunté de nos voisins des mots et des façons de parler : de tout temps ils en ont emprunté de nous. Il n’est peut-être aucune nation en Europe, qui ne trouve dans ce Glossaire de quoi étendre et perfectionner la connoissance de sa propre Langue. Les Allemands, les Anglois, les Espagnols, les Italiens sur-tout, verront des conformités singulières entre leurs différents idiômes et le nôtre.

Nous osons encore promettre aux Grammairiens qui desirent remonter à la source de quelques façons de parler, ou de quelques constructions irrégulières dont il n’est pas aisé de démêler le principe et de donner des raisons plausibles, qu’ils pourront trouver dans certains tours de phrases de notre ancienne Langue, la solution d’une partie de ces problêmes. L’expression qui nous est si ordinaire, agir de grand cœur, est une de celles que nous choisissons parmi beaucoup d’autres. À moins que les mots magno corde qu’on lit dans la Vulgate, n’ayent produit ceux de grand cœur, on ne démêle pas d’abord le rapport qu’il y a entre l’épithète grand et le mot cœur ; mais quand on lit dans nos Auteurs de greant cœur, pour dire, de cœur qui agrée, on voit alors que grand est une corruption de greant qui emporte avec lui une idée fixe et déterminée.

Quant à nos constructions irrégulières, peut-être que les Grammairiens seroient fort embarrassés de dire pourquoi on met un que après le si et après le comme dans le second membre des deux phrases suivantes : Si vous faites telle chose, et que ; et celle-ci : Comme vous irez là, et que. Notre ancienne Langue leur donnera la solution de ce Problême. On disoit anciennement : S’il avient chose que ; et : Comme il soit ainsi que : alors le second que se plaçoit naturellement au second membre de la phrase ; mais lorsque depuis, pour rendre notre Langue plus brève et plus vive, on en est venu à changer la phrase, en ne mettant qu’un simple si, ou un simple comme, on n’a pas fait attention qu’alors le que qui suivoit le si et le comme, blessoit les règles de la Grammaire. L’habitude l’a fait conserver dans des temps où les Grammairiens n’y regardoient pas de si près ; et cette habitude invétérée a fait trouver dans cette phrase, très-vicieuse en elle-même, le mérite de ce qu’on appelle gallicisme. Je cite cette découverte qui s’est présentée à moi : les Grammairiens plus éclairés et plus attentifs, en pourront faire beaucoup d’autres plus curieuses et plus importantes.

Tous ces différents articles réunis, présentent l’histoire générale de notre Langue ; et c’est encore un objet utile que nous nous sommes proposé. Ainsi l’on rencontrera dans cette collection diverses remarques sur des mots, soit anciens, soit modernes, dont quelques-uns ont cessé d’être en usage pour faire place à d’autres qui nous ont été fournis par nos liaisons avec les étrangers ou d’autres circonstances. Lorsque quelqu’un de nos Ecrivains a donné l’époque fixe et certaine de la naissance d’un mot, de la chûte, de l’introduction d’un autre qui peut-être aura depuis été remplacé par un plus nouveau, nous avons eu soin d’en avertir. Ces époques serviront de pierre de touche pour connoître l’authenticité ou la supposition de quelques actes ou titres suspects qui remontent aux mêmes dates. Ces époques aideront aussi les critiques à découvrir l’âge d’un écrit dont l’auteur est inconnu ; et quelquefois même, si l’on attribue cet ouvrage à divers auteurs, elles détermineront auquel il appartient vraisemblablement : car il y a tel mot qui ne se trouve employé que dans l’espace de 40 ou de 50 ans, et même tel autre qui ne l’est que par un seul Ecrivain.

Bisognes, Bisoignes et Bizognes, qui signifioit nouveaux soldats ou fantassins de nouvelle recrue, se disoit particulièrement des soldats Espagnols. Ce mot qui se trouve dans Brantôme, dans les Négociations de Jannin, dans les Mémoires de Montluc et dans les Mémoires de Sully, n’est employé que dans les ouvrages de leurs contemporains. Tabureau dans ses Dialogues, et l’auteur des Contes d’Eutrapel, nous apprennent que les mots Folatre, Accorter, Aborder, Aconche, et beaucoup d’autres, s’étoient mis à la mode parmi les gens du bel air qui se piquoient de beau langage, et que la plupart de ces termes venoient des Italiens. On trouve des remarques à peu près semblables, sur les mots, Accortement, Fanterie et Fantassin, Escadres et Régimens, Morion, Armet, Acoutremens de tête, et plusieurs autres appartenants à la guerre. Fauchet, dans ses origines, dit que les Aventuriers qui suivirent dans les guerres d’Italie Charles VIII, Louis XII, et François I, prirent depuis le nom de soldats, à cause de la solde qu’ils touchoient. Guillaume du Bellay vantant les services que Baïf avoit rendus à notre Langue, dit expressément que c’étoit cet Auteur qui l’avoit enrichie du mot Aigredoux. Le mot Agenci pour