Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/240

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Le jour commençait à paraître, lorsqu’elle eut écrit cette lettre, la plus difficile à écrire qui ait peut-être jamais été écrite : elle la cacheta, se mit à la fenêtre, et, comme elle vit le comte de Tende dans la cour, prêt à monter en carrosse, elle envoya une de ses femmes la lui porter, et lui dire qu’il n’y avait rien de pressé, et qu’il la lût à loisir. Le comte de Tende fut surpris de cette lettre ; elle lui donna une sorte de pressentiment, non pas de tout ce qu’il y devait trouver, mais de quelque chose qui avait rapport à ce qu’il avait pensé la veille. Il monta seul en carrosse, plein de trouble, et n’osant même ouvrir la lettre, quelque impatience qu’il eût de la lire : il la lut enfin, et apprit son malheur ; mais que ne pensa-t-il point après l’avoir lue ! S’il eût eu des témoins, le violent état où il était l’aurait fait croire privé de raison ou prêt de perdre la vie. La jalousie et les soupçons bien fondés préparent, d’ordinaire, les maris à leurs malheurs ; ils ont même toujours quelques doutes ; mais ils n’ont pas cette certitude que donne l’aveu, qui est au-dessus de nos lumières.

Le comte de Tende avait toujours trouvé sa femme très-aimable, quoiqu’il ne l’eût pas également aimée ; mais elle lui avait toujours paru la plus estimable femme qu’il eût jamais vue ; ainsi, il n’avait pas moins d’étonnement que de fureur ; et, au travers de l’un et de l’autre, il sentait encore, malgré lui, une douleur où la tendresse avait quelque part.

Il s’arrêta dans une maison qui se trouva sur son chemin, où il passa plusieurs jours, agité et affligé, comme on peut se l’imaginer. Il pensa d’abord tout