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Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 2.djvu/241

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ce qu’il était naturel de penser en cette occasion ; il ne songea qu’à faire mourir sa femme ; mais la mort du prince de Navarre, et celle de la Lande, qu’il reconnut aisément pour le confident, ralentirent un peu sa fureur. Il ne douta pas que sa femme ne lui eût dit vrai, en lui disant que son commerce n’avait jamais été soupçonné ; il jugea que le mariage du prince de Navarre pouvait avoir trompé tout le monde, puisqu’il avait été trompé lui-même. Après une conviction si grande que celle qui s’était présentée à ses yeux, cette ignorance entière du public pour son malheur lui fut un adoucissement ; mais les circonstances, qui lui faisaient voir à quel point et de quelle manière il avait été trompé, lui perçaient le cœur, et il ne respirait que la vengeance. Il pensa, néanmoins, que, s’il faisait mourir sa femme, et que l’on s’aperçût qu’elle était grosse, l’on soupçonnerait aisément la vérité. Comme il était l’homme du monde le plus glorieux, il prit le parti qui convenait le mieux à sa gloire, et résolut de ne rien laisser voir au public. Dans cette pensée, il envoya un gentilhomme à la comtesse de Tende, avec ce billet :

« Le désir d’empêcher l’éclat de ma honte l’emporte présentement sur ma vengeance ; je verrai, dans la suite, ce que j’ordonnerai de votre indigne destinée ; conduisez-vous comme si vous aviez toujours été ce que vous deviez être. »

La comtesse reçut ce billet avec joie ; elle le croyait l’arrêt de sa mort ; et, quand elle vit que son mari consentait qu’elle laissât paraître sa grossesse, elle sentit bien que la honte est la plus violente de toutes