Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/103

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sans s’en apercevoir ; elle croyait, de bonne foi, que le dessein qu’elle avait de lui plaire n’était que le désir de mortifier sa vanité ; mais le chagrin de n’y pas réussir l’éclaira sur ses sentiments. Est-il possible, disait-elle, que je ne doive les soins du comte de Canaple qu’à son indifférence ! Mais pourquoi vouloir m’en faire aimer ? Qui m’assure que je serais insensible ? hélas ! le dépit que me cause son indifférence ne m’apprend que trop combien je suis faible ! loin de chercher à lui plaire, il faut au contraire éviter de le voir. Je suis humiliée de n’avoir pu le rendre sensible ; eh ! que serais-je donc, s’il m’inspirait des sentiments que je dusse me reprocher ?

Ce projet de fuir M. de Canaple n’était pas aisé à exécuter : la maison de M. de Granson était devenue la sienne ; elle-même y avait consenti ; que penserait le public si elle changeait de conduite ? Mais, ce qu’elle craignait beaucoup plus, que penserait M. de Canaple ? Ne viendrait-il point à soupçonner la vérité ?

Il était difficile qu’elle conservât, au milieu de tant d’agitations, toute la liberté de son esprit. Elle devint triste et distraite avec tout le monde, et inégale et presque capricieuse avec M. de Canaple. Quelquefois, entraînée par son penchant, elle avait pour lui des distinctions flatteuses ; mais, dès qu’elle s’en était aperçue, elle le punissait en le traitant tout à fait mal. Il était étonné et même affligé de ce qu’il regardait comme une inégalité d’humeur dans madame de Granson. Il lui avait reconnu tant de mérite, que, sans prendre d’amour pour elle, il avait pris du moins beaucoup d’estime et même beaucoup d’amitié.