Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/150

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de Granson, en s’approchant de son oreille, à un homme qui craindrait de perdre votre cœur et qui conserverait encore quelque raison ? Personne, répondit-elle tout haut d’un ton fier et dédaigneux, ne sera à portée de faire une pareille perte : et, sans le regarder, sans lui donner le temps de répondre, elle se leva pour sortir.

Quoique M. de Canaple n’osât jeter les yeux sur elle, son attention et son application suppléaient à ses yeux. Il s’était aperçu de la passion de M. de Châtillon, presque aussitôt que lui-même. Un homme de ce caractère n’était pas un rival dangereux auprès de madame de Granson. Mais un rival, quelque peu redoutable qu’il puisse être, importune toujours. La réponse de madame de Granson, et le ton dont elle fut faite, le dédommagèrent de la peine qu’il avait eue de voir M. de Châtillon oser lui parler à l’oreille. Un amant, et surtout un amant malheureux, prend comme une faveur les rigueurs que l’on exerce contre ses rivaux.

M. de Châtillon n’était pas homme à se rebuter par celle qu’il venait d’essuyer. Il suivit madame de Granson, dans l’espérance de lui donner la main. M. de Canaple, qui n’avait plus rien qui l’arrêtât dans la chambre, sortit aussi. Ils se trouvèrent tous deux auprès du chariot de madame de Granson, lorsqu’elle voulut y monter. M. de Canaple n’osait cependant lui présenter la main ; mais M. de Châtillon ne garda pas tant de ménagement, et madame de Granson, irritée de sa hardiesse, occupée de la réprimer, prit celle de M. de Canaple, et ne s’aperçut combien la préférence qu’elle lui donnait était flatteuse, que parce qu’elle sentit que cette main était