Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/156

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tant de dangers ; mais mademoiselle de Mailly, qui voyait dans les périls de M. de Canaple ceux de M. de Châlons, y paraissait si sensible, que madame de Granson cessait de l’être.

L’éloignement, le dégoût, avaient succédé dans son cœur à l’inclination qu’elle s’était d’abord sentie pour elle. Le hasard fit encore qu’elles se trouvèrent dans l’appartement de M. de Vienne quand on apprit que l’armée marchait aux ennemis, et que la troupe de M. de Canaple et celle de M. de Châlons devaient commencer l’attaque. Mademoiselle de Mailly, saisie à cette nouvelle, ne put cacher son trouble. Madame de Granson n’était pas dans un état plus tranquille. M. de Vienne attribuait le chagrin où il la voyait plongée à la crainte où elle était pour M. de Granson, et achevait de l’accabler par les soins qu’il prenait de la rassurer, et par les louanges qu’il ne cessait de donner à sa sensibilité. Que penserait mon père ? disait-elle ; que penserait tout ce qui m’environne, si le fond de mon cœur était connu, s’il savait que ces larmes dont il me loue ne prouvent que ma faiblesse ? Il faut du moins que la connaissance que j’en ai rappelle ma vertu, et que je me délivre de la peine cruelle d’être pour moi-même un objet de mépris.

La perte de la bataille de Creci qu’on apprit alors, et les blessures dangereuses que M. de Granson y avait reçues, donnèrent à la vertu de madame de Granson un nouvel exercice. Elle ne balança pas un moment sur le parti qu’elle avait à prendre ; et, sans être arrêtée par les prières de M. de Vienne, et par les dangers où elle s’exposait en traversant un pays plein de