Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/311

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biens considérables, avait sacrifié la vie de ma mère pour sauver l’enfant dont elle était grosse, et y avait réussi ; son fils vécut ; il fallut régler nos partages. Je n’aurais pas du faire de grâce ; mais, par respect pour la mémoire de ma mère, je cédai tout ce qu’il voulut.

Le temps, il faut l’avouer, et un temps assez court, sécha mes larmes. Ma tendresse pour Barbasan, qui dominait sur tous mes sentiments, me fit bientôt trouver la consolation dans la pensée que j’étais devenue libre et en état de disposer de ma main ; j’eus d’ailleurs une persécution à essuyer, qui produisit naturellement de la distraction.

Le marquis de Crevant avait perdu son père peu de jours avant la mort de ma mère. Il m’aimait de bonne foi ; son amour avait tenu bon contre mes rigueurs, et avait produit en lui ce qu’il produit toujours quand il est véritable ; il lui avait donné des mœurs, et l’avait corrigé des airs et des ridicules attachés à la qualité de petit-maître. Dès que la mort de son père le laissa libre, il vint m’offrir sa fortune et sa main. Eugénie et le commandeur voulaient que je l’acceptasse. Crevant était précisément dans le cas que mon père m’avait marqué, pour choisir un mari. Il le fallait, disaient-ils, pour me sauver de ma propre faiblesse, et pour me mettre à couvert de la folie, et presque de la honte d’aller épouser un homme comme Barbasan, banni de son pays, et retranché de la société.

Il ne lui reste donc que moi, m’écriai-je, et vous me pressez de l’abandonner ! Que m’a-t-il fait ? Est-il coupable, parce qu’il est malheureux ? J’irai, s’il le faut, vivre avec lui dans un désert.