Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/312

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Cette idée, qui flattait la tendresse de mon cœur, s’affermissait encore dans mon esprit, par le plaisir de me trouver capable d’une action qui se peignait à moi comme généreuse. Dès ce moment je formai une ferme résolution d’aller le joindre. Les représentations du commandeur et d’Eugénie furent inutiles : le marquis de Crevant fut congédié.

Cependant il y avait plus d’un mois que je n’avais eu de nouvelles de Barbasan : j’allai me mettre dans la tête qu’il avait eu connaissance du dessein du marquis de Crevant, et qu’il en était jaloux ; l’impatience de me justifier vint encore accroître celle que j’avais de partir. Les apprêts de mon voyage furent bientôt faits. Je dis que j’allais avec mon tuteur, que j’avais d’avance mis dans mes intérêts, voir une terre qui composait tout le bien qu’on me connaissait.

Nous eûmes des passeports sous le nom d’un seigneur allemand. Dès que je fus au premier gîte, Fanchon (c’était le nom de ma femme de chambre) et moi, prîmes des habits d’homme. Comme j’étais grande et bien faite, ce déguisement me convenait ; j’étais encore plus belle qu’avec mes habits ordinaires ; mais je paraissais si jeune, que ma beauté, la délicatesse de mon teint et la finesse de mes traits ne blessaient point la vraisemblance.

Après dix jours de marche, et plusieurs petites aventures qui ne méritent pas d’être dites, nous arrivâmes à Francfort à huit heures du soir. Nos postillons, à qui j’avais fait dire que je ne voulais point aller dans un cabaret, nous menèrent chez une Française qui louait des appartements. À peine étais-je dans le mien,