Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/71

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avoir lu la lettre de dom Gabriel, m’emmena dans une chambre. Mon extrême abattement et le sang qu’il aperçut sur mes habits lui firent craindre que je ne fusse blessé. Il me le demandait, quand il me vit tomber en faiblesse ; un domestique qu’il appela, et lui, me mirent au lit. On fit venir le chirurgien de la maison pour visiter ma plaie ; elle s’était extrêmement envenimée par le froid et par la fatigue que j’avais soufferts.

Quand je fus seul avec le père à qui j’étais adressé, je le priai d’envoyer à une maison du village que je lui indiquai, pour s’informer de Saint-Laurent ; j’avais jugé qu’il s’y serait réfugié : je ne m’étais pas trompé ; il vint avec l’homme que j’avais envoyé. La douleur de ce pauvre garçon fut extrême, quand il sut que j’étais blessé ; il s’approcha de mon lit pour s’informer de mes nouvelles. Si vous voulez me sauver la vie, lui dis-je, il faut m’apprendre dans quel état est madame de Benavidés ; sachez ce qui se passe ; ne perdez pas un moment pour m’en éclaircir, et songez que ce que je souffre est mille fois pire que la mort. Saint-Laurent me promit de faire ce que je souhaitais ; il sortit dans l’instant pour prendre les mesures nécessaires.

Cependant la fièvre me prit avec beaucoup de violence : ma plaie parut dangereuse : on fut obligé de me faire de grandes incisions ; mais les maux de l’esprit me laissaient à peine sentir ceux du corps. Madame de Benavidés, comme je l’avais vue, en sortant de sa chambre, fondant en larmes, couchée sur le plancher, auprès de son mari que j’avais blessé, ne me sortait pas un moment de l’esprit : je repassais les malheurs de sa vie, je me trouvais par-tout : son mariage, le