Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/85

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que je crus suffisantes, je pris la route de Saragosse. Il y avait près de quinze jours que j’y étais arrivé, que je n’avais eu encore aucune nouvelle : ce long silence commençait à m’inquiéter, quand je reçus une lettre de ce domestique qui m’apprenait que, trois jours après mon départ, M. de Benavides l’avait mis dehors et tous ses camarades, et qu’il n’avait gardé qu’un homme qu’il me nomma, et la femme de cet homme.

Je frémis en lisant sa lettre, et, sans m’embarrasser des affaires dont j’étais chargé, je pris sur-le-champ la poste.

J’étais à trois journées d’ici, quand je reçus la fatale nouvelle de la mort de madame de Benavidés ; mon frère, qui me l’écrit lui-même, m’en paraît si affligé, que je ne saurais croire qu’il y ait eu part. Il me mande que l’amour qu’il avait pour sa femme l’avait emporté sur sa colère ; qu’il était près de lui pardonner, quand la mort la lui avait ravie ; qu’elle était retombée peu après mon départ, et qu’une fièvre violente l’avait emportée le cinquième jour. J’ai su, depuis que je suis ici, où je suis venu chercher quelque consolation auprès de dom Jérôme, qu’il est plongé dans la plus affreuse mélancolie ; il ne veut voir personne, il m’a même fait prier de ne pas aller sitôt chez lui.

Je n’ai aucune peine à lui obéir, continua dom Gabriel ; les lieux où j’ai vu la malheureuse madame de Benavidés, et où je ne la verrais plus, ajouteraient encore à ma douleur ; il semble que sa mort ait réveillé mes premiers sentiments ; et je ne sais si l’amour n’a pas autant de part à mes larmes que l’amitié. J’ai