Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 1.djvu/118

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
112
FABLES CHOISIES.

Du temps que les bestes parloient
Les Lions entre-autres vouloient
Estre admis dans nostre alliance.
Pourquoy non ? puisque leur engeance
Valoit la nostre en ce temps-là,
Ayant courage, intelligence,
Et belle hure outre cela.
Voicy comment il en alla.
Un Lion de haut parentage
En passant par un certain pré,
Rencontra Bergere à son gré.
Il la demande en mariage.
Le pere auroit fort souhaité
Quelque gendre un peu moins terrible.
La donner luy sembloit bien dur ;
La refuser n’estoit pas seur.
Mesme un refus eust fait, possible,
Qu’on eust veu quelque beau matin
Un mariage clandestin.
Car outre qu’en toute maniere
La belle estoit pour les gens fiers,
Fille se coëffe volontiers
D’amoureux à longue criniere.
Le Pere donc ouvertement
N’osant renvoyer nostre amant,
Luy dit : Ma Fille est delicate ;
Vos griffes la pourront blesser
Quand vous voudrez la caresser.
Permettez donc qu’à chaque pate
On vous les rogne ; et pour les dents,
Qu’on vous les lime en mesme temps :
Vos baisers en seront moins rudes,
Et pour vous plus delicieux ;
Car ma Fille y répondra mieux
Estant sans ces inquietudes.
Le Lion consent à cela,
Tant son ame estoit aveuglée.
Sans dents ny griffes le voila,