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FABLES CHOISIES.

Au bout de quelque-temps il fit quelques profits ;
Racheta des bestes à laine :
Et comme un jour les vents retenant leur haleine
Laissoient paisiblement aborder les vaisseaux ;
Vous voulez de l’argent, ô Mesdames les Eaux,
Dit-il ; adressez-vous, je vous prie, à quelque autre ;
Ma foy ! vous n’aurez pas le nostre.

Cecy n’est pas un conte à plaisir inventé.
Je me sers de la vérité
Pour montrer par experïence.
Qu’un sou quand il est asseuré
Vaut mieux que cinq en esperance ;
Qu’il se faut contenter de sa condition ;
Qu’aux conseils de la Mer et de l’Ambition
Nous devons fermer les oreilles.
Pour un qui s’en loüera, dix mille s’en plaindront.
La Mer promet monts et merveilles ;
Fiez-vous-y, les vents et les voleurs viendront.




III.
LA MOUCHE ET LA FOURMY.



La Moûche et la Fourmy contestoient de leur prix.
 : O Jupiter ! dit la premiere,
Faut-il que l’amour propre aveugle les esprits
D’une si terrible maniere.
Qu’un vil et rampant animal
A la fille de l’air ose se dire égal ?
Je hante les Palais ; je m’assiez à ta table :
Si l’on t’immole un bœuf, j’en gouste devant toy :
Pendant que celle-cy chetive et misérable,