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LIVRE SIXIÉME.

Que ce fust la mesme personne.
L’une fait fuir les gens, et l’autre a mille attraits :
Aux soûpirs vrais ou faux celle-là s’abandonne :
C’est toûjours mesme note, ët pareil entretien :
On dit qu’on est inconsolable ;
On le dit mais il n’en est rien,
Comme on verra par ceste Fable,
Ou plustost par la verité.
L’Epoux d’une jeune beauté
Partoit pour l’autre monde. A ses costez sa femme
Luy crioit, Attends-moy ; je te suis ; et mon ame
Aussi bien que la tienne, est preste à s’envoler.
Le Mary fait[1] seul le voyage.
La Belle avoit un pere homme prudent et sage :
Il laissa le torrent couler.
A la fin pour la consoler :
Ma fille, luy dit-il, c’est trop verser de larmes :
Qu’a besoin le défunt que vous noyez vos charmes ?
Puisqu’il est des vivans, ne songez plus aux morts.
Je ne dis pas que tout à l’heure
Une condition meilleure
Change en des nopces ces transports :
Mais après certain temps souffrez qu’on vous propose
Un époux, beau, bien fait, jeune, et tout autre chose
Que le défunt. Ah ! dit-elle aussi-tost.
Un Cloistre est l’époux qu’il me faut.
Le pere luy laissa digerer sa disgrace.
Un mois de la sorte se passe.
L’autre mois, on l’employe à changer tous les jours
Quelque chose à l’habit, au linge, à la coifure.
Le deüil enfin sert de parure.
En attendant d’autres atours.
Toute la bande des Amours
Revient au colombier les jeux, les ris, la danse
Ont aussi leur tour à la fin.
On se plonge soir et matin

  1. Fit, dans l’édition de 1668.