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Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 1.djvu/199

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LIVRE SEPTIÉME.

La Tanche rebutée il trouva du goujon.
Du goujon ! c’est bien là le disné d’un Héron !
J’ouvrirois pour si peu le bec ! aux Dieux ne plaise.
Il l’ouvrit pour bien moins ; tout alla de façon
Qu’il ne vid plus aucun poisson.
La faim le prit ; il fut tout heureux et tout aise
De rencontrer un Limaçon.
Ne soyons pas si difficiles :
Les plus accommodans ce sont les plus habiles :
On hazarde de perdre en voulant trop gagner.
Gardez-vous de rien dédaigner ;
Sur tout quand vous avez à peu prés vostre compte.
Bien des gens y sont pris ; ce n’est pas aux Hérons
Que je parle ; écoutez, humains, un autre conte ;
Vous verrez que chez vous j’ay puisé ces leçons.
Certaine fille un peu trop fiere
Prétendoit trouver un mary
Jeune, bien-fait, et beau, d’agreable maniere,
Point froid et point jaloux ; notez ces deux poincts cy.
Cette fille vouloit aussi
Qu’il eust du bien, de la naissance.
De l’esprit, enfin tout : mais qui peut tout avoir ?
Le destin se montra soigneux de la pourvoir :
Il vint des partis d’importance.
La belle les trouva trop chetifs de moitié.
Quoy moy ? quoy ces gens-là ? l’on radote, je pense.
A moy les proposer ! helas ils font pitié.
Voyez un peu la belle espece !
L’un n’avoit en l’esprit nulle delicatesse ;
L’autre avoit le nez fait de cette façon-là ;
C’estoit cecy, c’estoit cela,
C’estoit tout ; car les précieuses
Font dessus tout les dédaigneuses.
Apres les bons partis les médiocres gens
Vinrent se mettre sur les rangs.
Elle de se moquer. Ah vrayment je suis bonne
De leur ouvrir la porte : Ils pensent que je suis
Fort en peine de ma personne.

La Fontaine. — I.
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